Chroniques déontologiques

Étapes d’analyse d’enjeux déontologiques

Les enjeux déontologiques font partie de la pratique des sexologues, peu importe leur milieu. Ces situations sont souvent complexes et peuvent être intimidantes ou susciter un sentiment d’impuissance. La meilleure façon de résoudre une situation déontologique délicate est de s’engager dans une réflexion approfondie.

Par cette réflexion, les sexologues veillent à agir avec intégrité envers toutes les parties concernées, tout en respectant les lois et règlements professionnels. Cela leur permet de prendre des décisions appropriées et de les mettre en application avec confiance, même lorsqu’elles sont difficiles à aborder. Il est important de rappeler que l’établissement et le maintien d’un cadre clair sont rassurants pour la clientèle, les employeurs, la population en général et pour soi-même comme sexologue.

Pour soutenir la pratique des sexologues, l’OPSQ propose une version adaptée du Modèle Tarvydas de prise de décision éthique et déontologique. Il existe plusieurs modèles de prise de décision avec des étapes similaires qui sont tout à fait adéquats, mais celui-ci est conçu spécifiquement pour les professions de la santé mentale et des relations humaines.

Référence principale : Cottone, R., Tarvydas, V. M., & Hartley, M. (2021). Ethics and decision making in counseling and psychotherapy. Springer Publishing Company, Incorporated.

Les compétences des sexologues

En vertu du Référentiel de compétences des sexologues, la présente chronique vise principalement les compétences liées au professionnalisme, soit agir dans le respect des fondements éthiques et déontologiques de la sexologie (15), émettre un jugement professionnel (16) et adopter des savoir-être appropriés aux différents contextes professionnels (17).

De manière générale, la prise de décision éthique et déontologique sollicite également les qualités requises des sexologues, dont principalement exercer un bon jugement (Q1), agir de façon éthique (Q3), adopter une posture réflexive (Q4) et faire preuve de rigueur (Q5).

L’expérience, la collaboration et la supervision

Un aspect essentiel du processus est de développer son intuition professionnelle tout en la confrontant à une réflexion rigoureuse. L’intuition concerne les réflexes naturels qui aident à identifier quand une situation est atypique, anormale, inconfortable, ou nécessite une prise de position pour déterminer la meilleure conduite à adopter. À elle seule, l’intuition ne suffit pas pour prendre des décisions bien informées, mais elle peut être la première étape d’un processus réflexif.

Les compétences des sexologues en matière de prise de décision déontologique ne s’acquièrent pas automatiquement après avoir simplement pris connaissance des concepts. Elles nécessitent une progression graduelle qui inclut la participation à des discussions cliniques, la gestion de situations réelles, la supervision et l’intégration de l’analyse déontologique dans la formation continue.

En surmontant des défis déontologiques et en bénéficiant du soutien approprié, les sexologues assimilent plus facilement le processus de prise de décision et peuvent partager leurs réflexions avec leurs collègues. Cette expérience collaborative renforce leur confiance et leur jugement professionnels.

Pour identifier des sexologues pour la supervision, consultez l’outil de recherche de l’OPSQ.

Les étapes d’analyse pour des enjeux éthiques et déontologiques

Avec l’expérience et le renforcement, certaines étapes peuvent pratiquement devenir des réflexes, mais chacune demeure essentielle dans un processus de décision :

Étape 1 : Établir les faits et prendre conscience des enjeux

Au départ, il s’agit de brosser le portrait de la situation qui soulève une question déontologique : Quel est le contexte? Comment l’information a-t-elle été communiquée à la personne cliente ou aux sexologues? Qui sont les personnes concernées? Est-ce que l’information est suffisante pour procéder à une analyse plus approfondie?

Volet 1 a) Améliorer sa propre capacité à reconnaître les enjeux

Avant même de se confronter à un dilemme éthique, il important d’avoir une connaissance de base en déontologie et de développer sa capacité à reconnaître les enjeux dans sa pratique. La déontologie ne se limite pas à la mémorisation d’un code, mais implique la reconnaissance des enjeux dans son propre contexte professionnel. La première étape consiste donc à pouvoir identifier et nommer les enjeux déontologiques dans le cadre de sa pratique.

On évoque parfois la nécessité de « traduire » la situation en termes propres aux enjeux éthiques ou déontologiques. Les principaux enjeux comprennent la confidentialité, le secret professionnel, l’indépendance professionnelle, les conflits d’intérêts, le consentement, la relation professionnelle et ses frontières, ainsi que la compétence professionnelle, entre autres.

Volet 1 b) Déterminer les parties prenantes et leurs enjeux

Lorsqu’une situation nécessite une prise de décision, il est crucial de déterminer toutes les parties concernées. En plus de la personne cliente, cela peut inclure soi-même comme sexologue, les employeurs, l’entourage de la personne cliente, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), un autre ordre professionnel, les corps policiers, ou même la société dans son ensemble.

Cette étape permet d’amorcer la réflexion en ayant une vue d’ensemble complète.

Volet 1 c) Valider l’information en lien avec le sujet déontologique

À cette étape préliminaire, les sexologues doivent identifier les faits pertinents. Quels sont les événements survenus? L’information reçue est-elle crédible et suffisante? Qui sont les personnes concernées?

Dans certains cas, il peut être nécessaire de poser des questions supplémentaires pour clarifier certains points, sans toutefois adopter une posture d’enquête. L’objectif est de déterminer les faits et d’évaluer leur importance afin de permettre une réflexion complète et éclairée sur la situation lors de l’étape subséquente, soit l’analyse.

 

Étape 2 : analyser la situation pour choisir une ligne de conduite préliminaire

L’étape de l’analyse est essentielle et indispensable pour résoudre un enjeu déontologique. Elle permet de définir et de comprendre le cadre d’action afin de sélectionner les lignes de conduite appropriées.

Volet 2 a) Identifier les codes, les règlements, les lois, les principes éthiques, puis les politiques et procédures internes qui s’appliquent

Les sexologues doivent d’abord connaître les lois et règlements qui régissent la profession. Afin de mieux s’y retrouver, l’OPSQ met à la disposition des sexologues plusieurs guides, lignes directrices et de chroniques déontologiques, dont les suivants :

Pour les sexologues qui sont à l’emploi d’une organisation, que ce soit dans le milieu privé ou public, il est également important de connaître les politiques internes pertinentes à leur pratique. Certains établissements disposent de procédures spécifiques ou d’équipes de soutien pour traiter certains enjeux déontologiques, ce qui peut aider les sexologues dans leurs démarches.

Volet 2 b) Déterminer toutes les options possibles et probables

Pour chaque enjeu déontologique, il y a au moins deux options possibles : agir (A) ou ne pas agir (-A). Toutefois, il existe souvent plusieurs autres options qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit. Cette étape de réflexion est cruciale pour explorer toutes les nuances possibles et obtenir une vue d’ensemble des actions envisageables, qu’elles soient plus ou moins optimales. À ce stade, il est important de considérer toutes les options sans préjuger de leur viabilité.

Il peut être bénéfique de documenter l’exercice par écrit, par exemple dans le cas d’un conflit d’intérêts où l’on découvre que deux personnes clientes ont une relation de proximité susceptible d’affecter l’un ou l’autre des suivis :

  1. Mettre fin au deuxième suivi et référer;
  2. Mettre fin au premier suivi et référer;
  3. Mettre fin aux deux suivis et référer;
  4. Circonscrire les suivis en évitant tout enjeu directement lié aux deux personnes;
  5. Etc.

Volet 2 c) Évaluer les avantages et les inconvénients de chaque option

Chaque option présente inévitablement des avantages et des inconvénients. Bien que cette étape soit souvent abordée de manière instinctive ou informelle, il peut être utile de l’examiner de manière approfondie et de la documenter. Peu importe la démarche choisie, l’objectif est de soupeser attentivement chaque option pour s’assurer de sélectionner la plus appropriée.

Volet 2 d) Faire appel à la supervision ou à d’autres collègues d’expérience

Dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, il est bien établi que la supervision ou la consultation avec des collègues d’expérience est cruciale pour obtenir des conseils adaptés à chaque contexte.

Ces consultations peuvent avoir lieu à chaque étape du processus décisionnel, mais elles constituent un volet distinct qui met en lumière l’importance de la collaboration pour résoudre les enjeux cliniques, éthiques et déontologiques. Une expérience professionnelle solide, associée à une exposition à divers enjeux déontologiques, favorise une confiance professionnelle et un jugement nuancé dont les collègues peuvent bénéficier.

Enfin, certaines situations complexes peuvent engendrer un sentiment d’impuissance ou découler d’actions que l’on regrette. Il n’est jamais trop tard pour rectifier la situation, mais il est préférable d’agir le plus tôt possible. Il est préférable de ne pas affronter seul·e une situation difficile ni de la laisser se détériorer. La supervision offre le soutien indispensable pour aborder et résoudre ces enjeux complexes.

Volet 2 e) Choisir la meilleure ligne de conduite préliminaire

À l’issue des étapes précédentes, les sexologues devraient être en mesure de sélectionner la meilleure ligne de conduite préliminaire, conforme aux règles en vigueur et adaptée au contexte spécifique.

Dans la plupart des modèles de prise de décision éthique, cette étape constitue souvent la phase finale. Cependant, le modèle présenté invite les professionnel·le·s à examiner plus en profondeur leurs choix et en les confrontant à d’autres facteurs avant de finaliser un plan d’action. Cette approche permet non seulement d’agir de manière appropriée dans la situation actuelle, mais aussi de renforcer ses compétences professionnelles à plus long terme.

 

Étape 3 : Comparer la ligne de conduite préliminaire avec les valeurs personnelles concurrentes, les angles morts ou les préjugés

Cette étape est particulièrement pertinente dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, où les enjeux peuvent être abstraits, relationnels et potentiellement personnels. Il s’agit ici de tester et de réfléchir à la ligne de conduite préliminaire choisie, en tenant compte des différentes valeurs concurrentes.

Volet 3 a) S’engager dans une analyse approfondie des valeurs personnelles concurrentes, des angles morts ou des préjugés

Chaque décision déontologique ne correspond pas nécessairement aux valeurs personnelles des sexologues ou à ce qui correspond à des normes morales extérieures au monde professionnel. À ce stade, il est crucial de prendre en compte tous les facteurs pouvant éloigner ou rapprocher de l’option préliminaire choisie. Il est important de reconnaître l’influence des valeurs, angles morts ou préjugés qui peuvent affecter la capacité à s’acquitter de ses obligations professionnelles.

Voici des exemples de situations concrètes que les sexologues peuvent rencontrer :

  • Ressentir le devoir moral de dénoncer une activité criminelle, mais devoir protéger le secret professionnel dans le cadre de la relation professionnelle;
  • Éprouver le désir d’aider une personne, même lorsque le cadre déontologique proscrit une telle intervention, par exemple en raison d’un conflit d’intérêts;
  • Se retrouver dans une situation de conflit d’intérêts, mais croire en sa capacité à ne pas se laisser influencer par les intérêts externes;
  • Devoir mettre fin à une relation professionnelle pour des raisons déontologiques, alors que la poursuite du suivi pourrait être autrement bénéfique pour la personne cliente;
  • Entretenir, consciemment ou non, des préjugés défavorables, des biais ou des angles morts envers une certaine clientèle;
  • Rencontrer une personne cliente qui insiste pour recevoir un service, malgré un risque identifié de manquement déontologique;
  • Devoir refuser un projet lucratif en raison de risques déontologiques trop élevés.
  • Etc.

À ce stade, les sexologues peuvent avoir besoin de clarifier les distinctions entre leurs valeurs personnelles et professionnelles, surtout lorsqu’elles entrent en conflit. Par exemple, il arrive d’être en désaccord avec les actions de la clientèle comme les comportements criminels, de ressentir un besoin fondamental de protéger quelqu’un malgré le secret professionnel, ou de présenter des défis à préserver les frontières professionnelles. Il est également possible d’avoir un désir de progression de carrière, de souhaiter des opportunités financières intéressantes, de vouloir satisfaire un employeur, ou de se conformer à ses convictions religieuses.

Le défi consiste à identifier ces facteurs d’influence dans le contexte du rôle professionnel afin de choisir les meilleures lignes de conduite pour protéger le public.

Volet 3 b) Tenir compte des implications externes de ses choix professionnels

Les sexologues n’exercent pas leur profession en vase clos. Leurs actions peuvent être influencées par divers facteurs ou entraîner des répercussions à plusieurs niveaux : au sein de la relation professionnelle, dans leur milieu de travail, au sein de la profession, dans le système professionnel, ainsi que sur le public et la société en général.

Dans un processus réflexif, les sexologues examinent les valeurs professionnelles qu’elles et ils souhaitent promouvoir afin d’agir en conséquence. Cette évaluation se fait non seulement dans la relation avec la clientèle, mais aussi dans le choix des mentors, du milieu de travail, ou encore dans l’évaluation des valeurs véhiculées par ses employeurs.

En s’engageant activement dans un développement professionnel réfléchi et en faisant des choix conscients, les sexologues parviennent à établir un cadre clair qui leur permet de se sentir à l’aise avec leurs décisions déontologiques. Un cadre bien défini est rassurant tant pour la clientèle que pour les sexologues. Cette réflexion, particulièrement dans le cadre de décisions déontologiques complexes, aide à orienter la prise de décision.

Volet 3 c) : Choisir la meilleure ligne de conduite finale

À ce stade, il est probable que la ligne de conduite finale soit similaire à celle préliminaire (Volet 2 e)). Cependant, il est possible que le résultat diffère ou que la ligne de conduite soit modifiée en raison du contexte et des réflexions supplémentaires. En particulier dans des situations complexes, il peut y avoir plusieurs réponses valables.

Quel que soit le résultat, avoir examiné la question sous plusieurs angles permet de renforcer son approche et de développer son jugement professionnel.

 

Étape 4 : Planifier et exécuter le plan d’action sélectionné

Une fois la réflexion achevée, il est nécessaire de mettre en œuvre un plan d’action. Cela implique de définir les actions concrètes à réaliser, de déterminer les délais pour leur exécution, tout en prenant en compte les compétences, les attitudes et les connaissances requises.

Volet 4 a) Planifier les étapes concrètes à entreprendre

Il s’agit ici de planifier chaque étape pour s’assurer d’agir en respect de la clientèle et de la réglementation pertinente. Par exemple :

  • À quel moment la situation sera-t-elle abordée avec la personne cliente?
  • Quelle approche sera utilisée en considération du lien professionnel?
  • Est-ce que d’autres personnes seront présentes?
  • Quelles options ou références seront proposées à la personne cliente?
  • Le cas échéant, qui devra être contacté, à quel moment et par quel moyen?
  • Est-ce qu’une supervision ou accompagnement sera disponible avant ou après la mise en application, pour appuyer les sexologues?
  • Etc.

Volet 4 b) Prévoir et contrer les obstacles à l’exécution du plan

Déterminer un plan d’action ne garantit pas que sa mise en œuvre sera simple. Il est essentiel de réfléchir aux solutions pour surmonter les obstacles qui pourraient se présenter.

Par exemple, une personne cliente pourrait essayer de persuader son ou sa sexologue de contrevenir à la réglementation, réagir de manière agressive, insister pour obtenir ou poursuivre un service malgré un conflit d’intérêts, ou refuser le plan d’action proposé. Il est crucial de se préparer à ces éventualités.

Si la relation professionnelle doit se poursuivre, il est important de prévoir une approche pour aborder ces sujets de manière à maintenir, dans la mesure du possible, le lien de confiance.

Volet 4 c) Réaliser le plan d’action

La mise en œuvre effective de certaines actions déontologiques peut être complexe. Elle nécessite la sollicitation des qualités personnelles et des compétences professionnelles des sexologues, telles que la capacité à établir un cadre clair, la confiance professionnelle, l’assertivité, le tact, la gestion du temps, la collaboration et la résolution de conflits.

Lors de l’exécution du plan d’action, les sexologues mobilisent leurs compétences liées au savoir, au savoir-être et au savoir-faire. Pendant cette étape, la supervision peut être précieuse pour une préparation adéquate.

 

Étape 5 : Documenter et évaluer les actions entreprises

La documentation de la démarche dans les dossiers de la clientèle est particulièrement importante pour les enjeux déontologiques. Quant à l’évaluation, elle permet non seulement de faire un retour pour en améliorer les pratiques, mais aussi de reconnaître les actions qui ont été bénéfiques.

Volet 5 a) Effectuer la tenue de dossier

La réglementation exige la tenue de dossiers pour certains enjeux déontologiques, tels que le consentement de la clientèle, la communication de renseignements confidentiels à des tiers, ou les raisons justifiant la fin d’un suivi, notamment en cas de conflits d’intérêts.

En plus de la conformité réglementaire, il est essentiel de documenter l’action choisie ainsi que les raisons qui la justifient, pour protéger les intérêts des sexologues et de la clientèle. Indépendamment des résultats du plan d’action, il demeure plus facile de justifier une décision déontologique complexe lorsqu’elle est appuyée par des notes claires.

Pour plus de détails, consultez le Règlement sur la tenue de dossiers, le Guide sur la tenue de dossiers et les chroniques déontologiques spécifiques à chaque enjeu.

Volet 5 c) Effectuer une évaluation du processus décisionnel

L’évaluation offre l’occasion de réfléchir sur son expérience afin d’en tirer des enseignements et de favoriser le développement professionnel.

Certains défis déontologiques surgissent de manière rapide et imprévisible, sans qu’on ait eu la possibilité de les anticiper. D’autres, en revanche, résultent d’un « glissement » vers un problème déontologique qui aurait pu être évité si les premiers signes avaient été détectés plus tôt. Le processus d’évaluation est précieux pour identifier certaines failles personnelles et améliorer sa vigilance devant de futures situations similaires.

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