Québec, le 12 juin 2023 - Des mouvements sociaux comme #MeToo ont montré que les violences sexuelles surviennent plus souvent qu’on le pense, mais peu de données portent sur les inconduites sexuelles dans les relations professionnelles. Geneviève Martin, professeure à la Faculté de médecine de l’Université Laval, a brossé un portrait de la situation au Québec.
Elle a mis en lumière les forces et les lacunes du système actuel en analysant les décisions rendues par les conseils de discipline des ordres professionnels concernant les inconduites sexuelles, s’étalant sur une période de 20 ans.
Dans 92% des cas d’inconduite sexuelle étudiés, les professionnelles et professionnels accusés ont été reconnus coupables sur au moins un chef d’accusation. La grande majorité était des hommes issus des professions en santé physique et mentale. « Il est préoccupant de constater que 18.38 % des professionnelles et professionnels avaient des antécédents de transgression sexuelle », souligne la professeure Martin, qui a mené l’étude avec Isabelle Beaulieu, directrice générale de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec. Les femmes ayant commis des inconduites sexuelles représentaient 16% des cas et avaient tendance à établir des relations intimes et sexuelles au long cours, « souvent associées avec des besoins affectifs », précise la chercheuse.
Les victimes étaient majoritairement des femmes adultes, mais les hommes étaient aussi victimes d’inconduites sexuelles.
Informer la clientèle
Les actes dénoncés aux ordres professionnels étaient majoritairement des relations sexuelles ou des attouchements sexuels, des gestes « sans zone grise », précise Geneviève Martin. Les victimes ne rapportent pas toujours les actes moins génitalisés, tels que des propos inadéquats ou un toucher non désiré. « Elles se disent parfois que ça ne vaut pas la peine, ou elles mettent en doute ce qui s'est passé », rapporte la chercheuse. Elle insiste sur le fait que les victimes ne doivent pas minimiser les gestes qu'elles ont subis.
Une grande variété de gestes peut être considérée comme des violences sexuelles, mais Geneviève Martin souligne qu’il y a un manque d’éducation sur ce qui constitue une inconduite sexuelle. « La clientèle doit être informée des limites que la personne professionnelle ne peut pas dépasser », ajoute-t-elle.
Les résultats de l’étude soulèvent le besoin de formation des divers intervenantes et intervenants impliqués dans la prise en charge des dossiers d’inconduites sexuelles dans les ordres professionnels et les conseils de discipline, pour mieux accompagner et soutenir les victimes. « Le processus disciplinaire est assez long, plus de 600 jours en moyenne. C’est pourquoi un suivi régulier est important.
Les personnes plaignantes doivent être informées du déroulement du processus, qui est souvent émotionnel, et des ressources vers lesquelles se tourner en cas de besoin », précise la chercheuse. Les informations sur le site Web des ordres professionnels devraient être plus conviviales, tant sur la procédure à suivre pour déposer une demande d’enquête que sur le verdict de culpabilité pour inconduite sexuelle. « Lorsqu’un membre d’un ordre est reconnu coupable, la décision juridique est souvent indiquée, mais pour monsieur et madame Tout-le-Monde, ce n’est pas évident de savoir qui a déjà commis une inconduite sexuelle », rapporte Geneviève Martin.
Accompagner le personnel professionnel
Geneviève Martin était surprise de voir qu'il n'y avait pas plus de conditions imposées aux professionnelles et professionnels, avant ou pendant le retour au travail à la suite d’une condamnation pour inconduite sexuelle. « Il y avait des sanctions, mais peu de réhabilitation. Il faut les prendre davantage en charge pour diminuer le nombre de victimes et le risque de récidive », indique la chercheuse.
Elle souligne la pression et le stress que le retour peut entraîner, avec l’étiquette de personne ayant commis une inconduite sexuelle. Geneviève Martin suggère donc un accompagnement pour savoir comment faire face à la clientèle et aux pairs, quelle méthode mettre en place quand la professionnelle ou le professionnel se sent à risque de récidive. Ça pourrait même être des groupes d'entraide ou des services spécialisés ciblés pour leur réalité. « L'idéal est de les remettre le plus possible dans une situation réelle et leur donner les moyens de bien les gérer », ajoute-t-elle.
L’étude a été publiée dans la revue scientifique Sexual Abuse et le rapport de recherche se trouve dans la section dédiée à la prévention des inconduites sexuelles sur le site Web de l'OPSQ. Les signataires sont Geneviève Martin, de l’Université Laval, et Isabelle Beaulieu, de l’Ordre professionnel des sexologues du Québec.